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Le droit de retour des citoyens à leur pays d’origine: Droit fondamental et inaliénable

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Q1. Combien de mauriciens sont bloqués à l’étranger et pourquoi ils ne peuvent pas retourner aux pays ?

Il y plus de 4000 mauriciens qui sont à l’étranger dans plus de 60 pays (Etats-Unis, Portugal, France, Inde, Kenya, Éthiopie, Canada et bien d’autres encore) qui sont en détresse et qui veulent rentrer au pays. Beaucoup ont du mal à survivre. Certains veulent même se suicider ! Je vous parle en connaissance de cause car plusieurs d’entre eux m’ont contacté. Un véritable drame. Or, il faut savoir quels sont les responsables de cette souffrance inhumaine et privation de ce droit fondamental. Je dirais sans hésitation que le gouvernement, surtout le Premier Ministre, le Ministre des Affaires  étrangères et les conseillers et fonctionnaires de ce Ministère sont directement ou indirectement responsables. Pourquoi ?

Aucun pays n’a décidé de fermer les frontières du jour au lendemain. Je concède que fermer les frontières aux étrangers soit une mesure raisonnable, mais empêcher les mauriciens de retourner est inconcevable. Pourtant d’après des allégations, il y aurait des proches de certains VIP et VVIP qui sont rentrés la veille. Donc, si c’est vrai, ils étaient au courant de cette décision prise à l’ avance soulève alors un conflit d’intérêt et de discrimination.

Q2. Ne  fallait-il pas protéger les mauriciens qui sont là ? Croyez-vous qu’une telle mesure drastique  était nécessaire pendant cette crise?

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Non et non ! Ce pays appartient aux Mauriciens et même ceux qui sont malades ont le droit fondamental de rester sur ce territoire et de rentrer comme bon leur semble en respectant les règles de droit en place. La majorité de ces 4000 mauriciens aurait pu rentrer si nous avions donné  un préavis dans un lapse de temps raisonnable. Mettons 10 jours pour rentrer. Toute mesure prise pendant une crise sanitaire doit être équilibrée, cohérente et surtout proportionnelle.

Pour moi cette fermeture brutale est irréfléchie et insensée et ne satisfait pas le test de « mesure raisonnable » dans une société démocratique en accord avec les sections 1 et 18 de la constitution mauricienne.

Il est vrai que notre mission prioritaire est de combattre le Covid-19, mais pas en commettant un crime contre les mauriciens se trouvant à l’étranger. Parmi eux, il  y a des malades et des petits entrepreneurs. Mme Bachelet, le Haut-commissaire des droits de l’homme de l’ONU et de l’OMS ont insisté sur une réconciliation entre les droits humains. Pas plus tard  que le 20 Avril 2020,  Mme Bachelet a dit: “Under International law, everyone has the right to return to their home country even during a pandemic…I am appalled to see how the Covid Pandemic 19 is generating stigmatisation and discrimination both within and between States in many parts of the world. People who may have this disease need care, not to become the target of hatred and rejection”. Protéger les Mauriciens qui sont là ne doit pas impliquer un refoulement de nos propres Mauriciens. Donnez-moi l’exemple d’un seul pays qui a fermé ses frontières du jour au lendemain. Aucun !

Q3. N y-a-t-il pas un risque de contaminer et infecter les mauriciens qui sont au pays ?

Sans être médecin ou spécialiste, comme tout citoyen averti qui suit de très près  les pratiques internationales (Best Practices), je dirais que les risques étaient minimes, voire inexistants si on avait mis un protocole de Quarantaine fiable ou un système d’isolation efficace et intelligent en place. Une certaine section de la société mauricienne est championne pour stigmatiser  les malades. On se rappelle du traitement réservé à nos frères et sœurs atteints du Sida ou autre maladies contagieuses. Le pire, c’est le gouvernement  qui officialise, consolide  et  encourage cette politique de stigmatisation ! La vraie faiblesse a été  l’incapacité de Maurice à mettre en place un système de quarantaine fiable et efficace. Au tout début, le système de quarantaine instauré pour les gens infectés a été une vraie catastrophe et un véritable désastre. Les bâtiments insalubres et inadaptés mis à leur disposition est tout simplement indigne pour un pays comme Maurice, un pays à revenu moyen sur le seuil d’être un pays développé! Les repas servis étaient vraiment indigestes et inconsistants, les parents n’avaient pas d’information et il avait une politique de non transparence. Même les médecins affectés  à ces centres de quarantaine étaient dans  l’incapacité de donner des informations correctes et précises aux internés. Il est vrai qu’il y a eu des abus car certains voulaient être dans des cinq Etoiles, mais c’était une infime minorité. Pendant la quarantaine les gens étaient mélangés alors qu’il aurait fallu qu’ils soient isolés. Par manque de capacité pour tester, on a fait le premier «testing» après 9 ou 10 jours. Le  fait de ne pas avoir isolé les internes dans leurs chambres a certainement infecté certains citoyens qui n’étaient pas malades. Ce début catastrophique a été amélioré ultérieurement. Bon gré mal gré, les mauriciens malades ou ceux qui  étaient de retour ont pu sortir de l’auberge sans trop de dégâts.

Q4. Comment se fait-il qu’après une décision initiale de fermeture, le gouvernement ait décidé de rouvrir ?

J’ai dû entrer une affaire en cour pour contester la constitutionnalité et  l’irrationalité de cette décision et surtout son côté arbitraire. Je savais qu’il y avait au moins 5000 à 6000  Mauriciens éparpillés et en détresse. A  Maurice c’est impossible d’intenter un procès constitutionnel car en droit administratif, si vous n’avez pas un intérêt personnel, ce qu’on qualifie dans le jargon du droit comme le « Locus Standi » ou le « Sufficient Interest » la  Cour ne reconnaît pas le principe de « Public Interest litigation ». J’ai donc dû emprunter le nom d’un proche pour saisir la cour. En fait, j’ai entré l’affaire pour porter secours à tous nos mauriciens laissés a eux-mêmes en terre étrangère et pas vraiment pour mon proche qui n’était pas chaud pour envisager un tel procès. En cour, on a demandé une injonction intérimaire sans la présence des parties adverses c’est-à-dire le gouvernement et plus particulièrement le Premier Ministre et le Ministre des Affaires Etrangères. Le juge a refusé d’émettre  cette injonction mais a par contre demandé à la partie défenderesse d’être présente.  Les parties ont pu présenter les arguments. Avec le travail solide et minutieux de notre panel d’avocats et avoués, Me Nilkanth Dulloo, Sowky, Bokory et Nawaz Dhooky et mes propres recherches académiques, on a présenté des arguments qui ont fait très mal. Anticipant une raclée probable de la cour, l’avocate de la défense, avec raison, a demandé la permission de demander l’avis du gouvernement. Fuite en avant, ils ont peut-être réalisé leurs bêtises et bévues et ont fini par céder en  rouvrant les frontières. Ainsi 1800 à 2000 mauriciens ont pu rentrer au bercail avec un grand ouf de soulagement. Evidemment ils ont accepté d’être mis en quarantaine malgré les inconvénients et sacrifices. Il faut toujours avoir des mesures bien mesurées. En quarantaine ces gens n’ont jamais mis la vie des autres en danger  comme le prétendait une minorité de gens égoïstes et certains Ministres.

Q5. Quels sont les arguments avancés par vous et votre équipe d’avocats ?

On a tout d’abord démontré que la décision initiale était irrationnelle et brutale et surtout qu’aucun délai de préavis n’avait été donné. Nos arguments ont pris tout le monde par surprise. Ainsi il était impossible pour ces Mauriciens de retourner et le fautif était donc le gouvernement.  Sur le plan du droit, la section 15  de la constitution garantit la liberté de quitter Maurice et d’entrer.

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Pour être plus précis, c’est la sous-section 1 de la constitution  qui garantit la liberté d’entrer au pays après avoir fait un séjour ou avoir résidé à l’étranger. Bien que la  même section permette des dérogations, il faut le faire dans un cadre raisonnable en accord avec les principes d’une société démocratique eu égard au principe posé par la section 18 de la constitution mauricienne.

La sous-section 3 de la même section 15 permet  à L’État de faire une dérogation concernant  la liberté de mouvement. Ainsi on peut interdire à un mauricien de quitter son territoire s’il a commis un crime. Pour raisons de défense ou sécurité, moralité publique ou santé publique on peut imposer des restrictions à l’intérieur de notre territoire. Même dans ces cas précis, il faut des mesures raisonnables qui sont justifiables  dans une société démocratique. Par contre la section 15 n’impose absolument aucune restriction ou interdiction pour une personne de rentrer au pays. Encore que dans le cas présent c’est l’Etat qui est fautif avec sa décision brusque, impulsive et sans préavis. Rien et  absolument rien n’est mentionné contre le droit à un citoyen de retourner à Maurice. Ces dispositions doivent être lues en conjonction avec la section 21 de la constitution. Chaque citoyen Mauricien en vertu du double critère du droit de sang et droit de sol, bénéficie de ce droit fondamental de vivre sur le territoire mauricien. Le « Deportation Act » ne permet pas de déporter même le pire des criminels, sauf dans le cadre stricte des exceptions prévues par le «  Extradition Act »  de 2017 qu’on pourra discuter dans un autre cadre.

L’arrêt, Minister of Home  Affairs (Bermude) vs Barosa a donné des arguments  à mon panel  d’avocats pour faire céder le gourvernement dans le premier procès constitutionnel intenté. Le Privy Council a cité l’arrêt Bancoult vs Secretary of State and Foreign Affairs pour affirmer que même le droit commun reconnait ce droit de retour comme un droit fondamental et inaliénable.  La Reine ne peut pas retirer ces droits même en se servant de ces prérogatives. Donc j’imagine que nos rois ou princes à Maurice ne peuvent pas retirer ce droit de retour au pays, surtout dans le contexte d’un pays avec une constitution écrite avec une  section précise.  Avec la section 15 de la constitution, cela devient impossible d’enlever ce droit même en période de pandémie. La cour a précisé: “The constitution should be construed in a manner which accommodates and reflects the common law position rather than defeats it”. Les lois  et principes domestiques sont encore plus soutenus par le droit international. En sus des protections constitutionnelles et les lois sur le plan domestique, le droit international affirme encore plus fortement ce droit fondamental de retour au pays.

Q6. Donnez-nous un peu plus de précisions sur les principes de droit international et Maurice est-elle tenue de les respecter ?

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Maurice a ratifié plusieurs conventions internationales et a aussi voté les résolutions. La première résolution est celle passée par l’ONU, la déclaration Universelle sur les Droits de l’Homme, en vertu de l’Art 13(2) «chaque citoyen a le droit de quitter  un pays incluant  le sien et le droit de retour ». Bien que ce soit une déclaration, cela fait partie  néanmoins du droit international coutumier. La convention sur les droits civils et politiques en vertu de son Art 12(4) applique aussi ce principe d’un droit de retour au pays d’origine et la Charte  Africaine des droits de l’homme et des citoyens en vertu de L’Art 12 (2) applique le même principe. Oppenheim autorité, en doctrine, applique ce principe fondamental. A part les conventions, on voit une pratique constante des Etats pour respecter ce droit fondamental, même en pleine période de Covid19, les Etats comme la France, la Suisse, le Canada etc., ont tout fait pour rapatrier  leurs citoyens gratuitement. L’Inde en  a fait de même et a mis les logistiques en place pour rapatrier les citoyens indiens. Nos dirigeants ont souvent hâte de prendre l’inde à témoin. Pourquoi ne le font-ils pas maintenant ? Le « Chota Bhârat » n’est-t-il pas un bon exemple!

Sous le droit international, Maurice qui s’autoproclame le champion de la démocratie ne peut pas se dérober.

Q7. Quelles ont été les actions concrètes du gouvernement ?

Apres maintes supplications auprès du Ministère des Affaires étrangère, ce dernier n’a rien fait ou peu  à part envoyer deux avions vers la France et l’Inde. Là encore beaucoup de personnes à Paris n’ont pas été averties et l’avion est rentré avec seulement 29 passagers sans savoir sur quels critères le choix des passagers avait été fait. Un manque de transparence et d’opacité totale ! En Inde les critères de sélection étaient de privilégier les personnes âgées et  les malades. Pourtant des personnes âgées de 65 ans et de surcroît malades sont restées à Mumbai. Est-il vrai que des personnes ayant  de bonnes connections aient profité de ce rapatriement? Le Ministre a dit que les ambassades aidaient. Comment ? Un ambassadeur a pourtant déclaré que les Ambassades n’avaient pas les moyens financiers. Donc n’était-ce pas la responsabilité légale et morale d’aider financièrement les mauriciens de bonne foi qui en avaient vraiment besoin.

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Qui dit vrai ? Les Ambassadeurs ou le Ministre ? Je constate un énorme décalage entre les discours à la télévision, le Parlement et les réalités du terrain. Des sociétés de croisière étaient prêtes à affréter des avions pour rapatrier les mauriciens, mais le gouvernement a honteusement refusé. Unique au monde! Il n’y a aucun prétexte de manque de moyens. Ces pays amis comme le Kenya, l’Ethiopie, la France, le Portugal, l’Inde et les Etats-Unis sont disposés à passer des accords pour un droit d’atterrissage.

Q8. Quels sont les recours de ces pauvres gens victimes de leur propre gouvernement ?

Face à cette situation, les gens  victimes doivent intenter des procès. D’ailleurs l’équipe légale menée par Me Nilkanth Dulloo et Me Kavi Bokory avec ma contribution au niveau de la recherche vont déclencher encore une fois un procès. On a donné plus de 4 semaines au Ministère pour qu’il puisse venir en aide concrètement, mais en vain. Je pense que les gens peuvent aussi intenter une action sur le plan pénal pour non-assistance  aux personnes en danger. Subséquemment elles peuvent aussi intenter des actions pour la responsabilité  délictuelle pour dommages et intérêts contre certains décideurs politiques et certains fonctionnaires. Certains se demandent aussi s’il n’y a pas à bien des égards des éléments pour crime contre l’humanité. C’est une déportation implicite, même temporaire, mais inacceptable dans un Etat de droit. !

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