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Industry | La résilience industrielle de Maurice…tout un programme!

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cedricdespeville

Vivre à découvert n’est pas tenable sur le long terme, que ce soit pour un individu, une famille, une entreprise ou un pays. Cela parait une évidence. Depuis des dizaines d’années, nous n’avons cessé de croitre, de nous installer dans un certain confort. Malgré le déficit grandissant de notre balance commerciale, nous avons pu continuer de vivre au-dessus de nos moyens grâce entre autres aux flux de FDI et aux apports du Global Business, qui équilibrent notre balance des paiements.  

Nous avons été structurellement déficitaires pendant trop longtemps : consommer plus qu’on ne produit n’est pas responsable, du moins si nous souhaitons garder notre indépendance. Nous devons retrouver l’équilibre ! Mais comment ? Doit-on importer moins ? Exporter plus ? 

Oui, tenter d’exporter plus (tourisme, services financiers, ICT / BPO, textile…) est un « no brainer » car cela nous tire vers le haut, offre de belles carrières à notre jeunesse, nous garde connectés au monde …. et nous devrons continuer de jouer cette carte, en particulier pour le secteur des services où Maurice a de beaux avantages. Mais tout miser sur l’exportation a ses limites car cela nous expose directement à des perturbations contre lesquelles nous ne pouvons rien. La crise actuelle nous le rappelle brutalement : notre hyper-dépendance aux marchés extérieurs est dangereuse.  

La solution est donc d’importer moins, nous n’avons pas le choix. Pour le « compte courant » de Maurice, ne pas dépenser (importer) une roupie équivaut à en gagner une (exporter). Mais encore faut-il substituer un produit local au produit que nous n’importons pas, sinon nous avons un problème ! 
Je réitère : notre hyper-dépendance aux fournisseurs extérieurs est dangereuse. Que fait-on quand les bateaux n’accostent plus à Port-Louis ? Que nos pays fournisseurs s’interdisent d’exporter ?  
Le modèle actuel d’hyperspécialisation, avec des supply chains globales et des biens intermédiaires qui font 2 fois le tour du monde avant d’être utilisés (bonjour l’empreinte carbone !), a largement montré ses limites. Augmenter la production locale, pour nos besoins locaux, est urgent. De plus, lorsqu’on consomme un produit local, la roupie durement gagnée reste à Maurice : elle sert à payer le travail et la valeur ajoutée locale, au lieu de rémunérer le travail étranger. Cette roupie circule à Maurice, avec un effet multiplicateur, au bénéfice de tous… 

Tout ça c’est bien joli, mais comment produire plus ? Pourquoi en est-on là aujourd’hui ? 

Sans entrer dans un débat statistique sans fin, il est incontestable que le secteur industriel Mauricien est en souffrance depuis de longues années. Certains diront que c’est normal et que nous avons vocation à être une « service-oriented economy », d’autres que nous avons perdu en compétitivité à cause de l’augmentation des salaires et / ou de la surévaluation de la roupie, que les jeunes d’aujourd’hui ne souhaitent pas travailler, que nous sommes victimes de « unfair trading » … Il y a sûrement du vrai dans tout ça, mais que fait-on ? 

C’est maintenant ou jamais. La situation actuelle nous ouvre les yeux à tous, et cela est bien plus efficace que tous les discours et toutes les sonnettes d’alarme que les industriels n’ont cessé de tirer depuis de longues années. Si nous ne changeons rien aujourd’hui, je n’ai aucun doute que nous serons « back to zéro » d’ici quelques mois… et nous n’aurons que nos yeux pour pleurer lors de la prochaine crise. La théorie est claire, et nous la vivons aujourd’hui en pratique. Que nous faut-il de plus pour agir? 

Dans une économie de marché comme Maurice, si le besoin de production locale est si évident, pourquoi ne voit-on pas plus d’entrepreneurs se lancer ? Peut-être parce qu’à ce jour il est plus facile, moins risqué et donc plus rentable de se lancer dans le commerce de produits importés que de produire localement.  

Comment changer cet état de choses ? Comment inciter davantage de personnes et entreprises à se lancer dans la production locale ? Il faut tout d’abord améliorer l’équation économique, en facilitant l’offre des produits locaux et en augmentant la demande de ces mêmes produits !  

Faciliter l’offre 

Les investissements industriels sont souvent lourds et à long terme. L’état doit encourager, via une politique audacieuse (subventions, capital allowances, outils de financement…) ce type d’investissement. De nombreux schemes sont déjà en place, et à ma connaissance le dialogue entre le gouvernement et l’AMM (Association of Mauritian Manufacturers) sur le sujet est bon. Privilégier l’investissement productif, créateur de valeur ajoutée et d’emploi local a tout son sens – le pays en sortirait gagnant.  

Augmenter la demande 

Les Mauriciens consomment beaucoup ; la demande existe. Le problème c’est que cette demande est anormalement en faveur des produits importés. Nous devons la rééquilibrer via deux approches simultanées : l’une offensive et l’autre défensive.  

L’approche offensive, c’est continuer de gagner le cœur des Mauriciens en offrant des produits de qualité irréprochable, à bon prix, respectueux de l’environnement. Nous devons rappeler à chaque Mauricien qu’acheter local est un acte militant, de soutien à notre économie et à l’emploi local. Là encore, l’AMM joue un rôle fondamental avec le label Made in Moris et nous devons continuer le travail pour inclure encore plus de produits locaux répondants aux standards fixés. L’important est de ne jamais transiger sur la qualité. Nous devons être fiers d’acheter mauricien.

L’approche défensive, c’est arrêter de favoriser l’offre étrangère au détriment de la production locale. C’est imposer les mêmes standards aux produits importés : normes qualitatives, normes éthiques, étiquetage… Et, lorsque cela se justifie, imposer un « equity duty » pour que produits importés et produits locaux soient sur un pied d’égalité. C’est aussi interdire les pratiques déloyales telles que le dumping. Pour éviter de devenir la poubelle du monde ! Savoir se protéger devient un droit fondamental.  

Ça, c’est l’approche logique, l’approche rationnelle. Mais ce n’est pas suffisant.

Le terreau est aujourd’hui fertile ; la relance de la machine économique passera par le local. Assurons-nous de construire quelque chose qui a du sens pour l’île Maurice de demain.  

Michel de Spéville - maurice

Le Groupe Eclosia, que je dirige et qui a été fondé et développé par mon père Michel de Spéville a, depuis ses débuts, tenu une promesse simple : après l’indépendance politique, il fallait construire autant que possible notre indépendance alimentaire au travers de la substitution à l’importation et de l’autosuffisance alimentaire (cf. mémoire de Michel de Spéville en 1979, « En Marche vers l’Autosuffisance Alimentaire »).  

Depuis 50 ans, chaque projet du Groupe a été mené en ayant en tête quelques critères simples : comment s’assurer de créer le maximum de valeur ajoutée locale ? Comment assurer une production alimentaire de qualité, en quantité suffisante, au bénéfice de tous les Mauriciens ? Comment inclure le maximum d’entrepreneurs indépendants dans nos chaînes de valeur ?  

La « croissance inclusive » ne relève pas d’un nouvel argumentaire marketing pour notre groupe. C’est le projet même de mon père, depuis le premier jour. A Maurice, Eclosia accompagne des centaines d’entrepreneurs via sa franchise Chantefrais, via le support aux agriculteurs et éleveurs avec Avishop et Starponte, via son fonds de « Angel Investment » qui a pris le relais du CPPE (Centre de Promotion de la Petite Entreprise) des années 90…
C’est du boulot à plein temps ! Car toutes les personnes qui ont travaillé avec des petits entrepreneurs vous le diront : l’aide dont ils ont besoin n’est pas que financière mais tient surtout aux conseils pour la gestion et le management du business, à la mise en relation, aux réseaux de partenaires et à la simplification comptable et administrative. La collaboration entre les grands groupes et les PME est vitale pour les uns comme pour les autres. Arrêtons d’opposer de façon stérile les destins des gros et des petits mais travaillons au contraire à faire qu’ils collaborent efficacement pour que les filières soient plus intelligentes et plus agiles, et que chacun soit en situation de win/win. Rien ne se fera au détriment de l’autre mais bien AVEC l’autre.  

Pour construire demain, nous devons nous assurer de mettre tout le monde autour de la table – autorités, banques, entrepreneurs, associations professionnelles et associations de consommateurs, PME et grands Groupes – pour définir un projet qui saura motiver la jeunesse Mauricienne. Ce projet devra faire la part belle à l’écologie, à la digitalisation et à la coopération régionale. Pourquoi l’écologie ? Parce que si nous ne sauvegardons pas le patrimoine naturel de notre île, les touristes ne reviendront pas. Parce que si nous ne prenons pas garde à nos champs et la quantité de pesticides que nous y déversons, la santé de nos enfants sera en danger. Parce que si nous ne pensons pas à la façon de produire notre énergie, nos produits, nos emballages, de recycler nos déchets, la pollution de notre sol et de notre océan nous tuera à petit feu. Pourquoi la digitalisation ? Parce que la technologie a beaucoup à nous apporter, dans nos usines, dans nos bureaux, dans le travail collaboratif, dans la recherche, l’éducation continue, l’innovation. Et ce, dans tous les secteurs : la sécurité, le commerce, la culture, la santé. Mais cette digitalisation doit être pensée à court et moyen terme. Elle fait intégralement partie de notre autonomie, de notre souveraineté. Ce sont des sujets complexes qui impactent les emplois de demain et la formation d’aujourd’hui. Crise ou pas crise, ce sujet-là ne pourra pas être reporté à après. Enfin pourquoi la coopération régionale ? Parce que cette crise a redéfini la logique de blocs géopolitiques et commerciaux dans lesquels nous évoluons. Nous ne pouvons pas ignorer que chaque continent va privilégier son marché intérieur pour se réinventer. Nous devrons faire de même en participant de façon plus concrète à la consolidation économique de la région de l’Océan Indien. Nos îles sont tellement complémentaires….

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Cédric De Spéville
Né en 1979, marié et père de 4 enfants, Cédric de Spéville détient une Maîtrise en Economie de l’Université de la Sorbonne, un MSc in Accounting and Finance de la London School of Economics et un MBA de Columbia Business School. Il rejoint le Groupe Eclosia en 2003, et en devient le CEO en janvier 2013. Il a été le Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Maurice de 2011 à 2013, de Business Mauritius de 2017 à 2019 et a aussi siégé au conseil d’administration du Economic Development Board of Mauritius de décembre 2017 à janvier 2020.

4 Commentaires

    • Perroquet des ainés, I am afraid it is not going to happen now … smart newgen my advice to you stay away from your homeland – unless you want to join the ongoing looting !

  1. Pourquoi le poulet bio est presque 2 fois moins cher ici au Canada que le poulet dopé de Maurice, et vous trouvez la roupie forte ? Ma foi, avec une tel sang nouveau, l’avenir du pays est assuré pour les néo-rentiers !

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